ROBERT MALVAL : LA RÉPUBLIQUE DES TRANSFUGES*
À compter de 1986 et du dévérouillage de la scène politique après 29 ans de dictature, une multitude de partis s’y sont implantés, certains fondés avant l’effondrement du régime de Jean-Claude Duvalier, d’autres par leur chef en exil. Depuis, beaucoup de ces organisations ont sombré, soit par manque de substance et de troupes ou par fusions souvent incohérentes. Rares furent les partis à ne pas compter de félons en leur sein. Même l’OPL, qui avec le RDNP offrait le plus une image de cohésion idéologique entre ses membres, a eu son baron renégat issu de son état-major. C’est que l’attrait d’un strapontin aide à retourner les consciences et à mettre à mal la loyauté. Cette épidémie de désertion a atteint son apogée avec le PHTK. Le char de l’Etat est devenu un char de carnaval (terme seyant) où se tortillent depuis 10 ans nombre de défectionnaires.
Faut-il s’étonner de l’opprobre dont est l’objet la classe politique, de la désaffection de la population pour la chose publique, et du désarroi de la communauté internationale face à ce jeu des chaises musicales? Le chef du gouvernement actuel est un condensé de cette prédisposition à l’opportunisme. Ancien vice-président du PANPRAH, passé dans le camp de Préval pour aller rejoindre celui de Martelly, il est la figure emblématique de ces retournements de veste devenus sport national. Cependant le revirement le plus spectaculaire est le ralliement du SDP au régime de facto dirigé par Ariel Henry. C’est la déroute de l’intelligence politique la plus déconcertante. Pour reprendre les propos de Bismarck, ce regroupement a jeté lui-même la terre sur son cercueil, car entre Henry et le SDP, les chemins ne vont pas tarder à diverger.
N’aurait-il pas été plus avantageux de garder la cohésion avec les autres organisations de l’opposition afin de faire monter les enchères aux yeux de la communauté internationale et au profit du projet démocratique ? Ils ont donné un deuxième souffle à un gouvernement en bout de course qui tirait ses dernières cartouches.L’argument mis en avant par les promoteurs de cette dérive ne pèse pas lourd. Ils se bercent de l’espoir d’enfoncer un coin dans le camp PHTK alors qu’ils en sont le jouet. Ils ont perdu leur pertinence sur l’échiquier politique. De ce saut périlleux, ils ne se relèveront pas en dépit de leurs entrechats. Ils seront l’enclume et non le marteau, et comme nombre de leurs prédécesseurs dans l’art du renversement d’alliance, ils seront impuissants à faire bouger les lignes.
Le gouvernement de consensus, comme il se désigne avec autosatisfaction, n’a pas la légitimité même aux yeux de Washington. Non seulement Biden ne l’a pas invité au sommet sur la démocratie qu’il organise le 10 décembre prochain, mais également il justifie sa mise à l’écart par son caractère illégal. Plus que du mépris, c’est du lâchage. Aussi, derrière le rideau d’apparences, les poignards vont se lever et frapper dans l’ombre. Les victimes sauront alors que duplicité n’est pas habileté. Ariel Henry a récupéré et capté un héritage qui n’est pas le sien. Les vrais héritiers ne vont pas se laisser dépouiller sans réagir et leurs clameurs vengeresses se feront bientôt entendre. Alors viendra le temps des turbulences dans l’appareil gouvernemental.
Robert Malval